Interview de M. George de NONI, Directeur de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)
CRES – Voulez vous présenter ?
- De Noni – Merci de votre visite et merci de me permettre de présenter par votre canal l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Je suis George de Noni, Directeur de recherche à l’IRD, donc chercheur à la base, en géographie. Après une carrière de plusieurs années qui m’a mené en Afrique, en Amérique du sud, en Méditerranée et en Asie, je suis maintenant le représentant de l’IRD ici au Sénégal mais également en Mauritanie, au Cap Vert, en Guinée Bissau et en Gambie. J’ai également une autre fonction, celui de coordonnateur de l’IRD pour l’Afrique de l’ouest et du centre, l’une des six grandes régions du Sud résultant du découpage fait par l’IRD. L’Afrique de l’ouest et du centre est un terrain historique de recherche, de partage et d’amitié. Cette région est formée outre de la représentation du Sénégal, des représentations suivantes : une au Niger, une au Mali, une au Burkina Faso, une autre au Bénin et enfin au Cameroun. Ce qui représente au total six représentations, soit plus d’une centaine de chercheurs de l’IRD expatriés, en partenariat avec environ 200 chercheurs locaux, africains : ingénieurs, techniciens, chercheurs également en CDI.
CRES – La Représentation de l’IRD au Sénégal est la plus importante implantation à l’étranger en termes de programmes, d’effectifs et de budget. Elle étend sa compétence sur quatre autres pays d’Afrique de l’Ouest : la Mauritanie, le Cap-Vert, la Gambie et la Guinée-Bissau. Qu’est-ce qui justifie le retrait de la zone Guinée à partir de 2010 et son rattachement à la Représentation du Mali ?
- De Noni – Parmi la trentaine de représentations de l’IRD existantes dans le monde, celle du Sénégal est la plus importante. Donc, elle est déjà lourde à gérer et à administrer. Et en plus de ça, il y a d’autres pays sous compétence comme par exemple la Mauritanie, le Cap vert, qui sont aussi importants. Par ailleurs, étant donné que la représentation du Mali n’avait aucun pays d’accompagnement, il a été retenu que la Guinée puisse être gérée à partir de celle-ci. Ceci étant, tout ceci n’est que découpage administratif et je fais en sorte, en tant que coordinateur régional, de travailler en collégialité avec mes collègues Représentants. Très souvent, lorsqu’il y a un projet sur la Guinée, nous y travaillons avec le Représentant du Mali.
CRES – En l’espace de deux ans, vous avez rendu deux fois visite au CRES. Peux-ton savoir ce que nous vaut cet honneur ?
- De Noni C’est que vous avez su créer par vous-même un consortium d’excellence et de qualité dans un domaine essentiel, l’économie. Et sans économie, il n’y a pas d’avenir pour un pays, pas de développement, ni de perspectives. Ce qui prouve la qualité des hommes et des femmes qui sont là, pour l’amour de leur pays, pour le développement de leur pays. Donc c’est parce que vous êtes une institution solide que sommes motivés de travailler avec vous et aussi parce que nous partageons des objectifs stratégiques et scientifiques communs.
CRES – Est-ce que vous aviez entendu parler du CRES avant votre arrivée au Sénégal ?
- De Noni – Franchement non ! Mais ce n’est pas surprenant, mais ne considérez pas ma réponse comme significative parce que j’étais dans un environnement qui n’était pas tourné vers l’Afrique au cours des dix dernières années. Donc je pense que la réponse à votre question pourrait être différente si elle était adressée à un collègue qui était tourné vers l’Afrique. Je pense que votre réputation est très établie au Sénégal et dépasse les frontières. N’étant pas économiste de formation, et n’étant pas tourné vers le Sénégal, je ne connaissais pas le CRES, mais cela a vite changé après quelques mois passés dans votre pays.
CRES – L’IRD au Sénégal conduit ses activités de recherche en partenariat constant avec un panel croissant d’institutions sénégalaises et internationales. Quel est à ce jour la place du CRES dans ce cadre ?
- De Noni – Le CRES occupe aujourd’hui une place aussi importante que celle des autres grandes institutions sénégalaises avec lesquelles nous travaillons, c’est-à-dire l’UCAD et l’UGB. Nous partageons les mêmes origines universitaires et vous êtes des enseignants-chercheurs qui traitez les problèmes concrets de développement de votre pays.
CRES – Plus que les autres partenaires, l’IRD est conscient des enjeux liés au financement de la recherche en Afrique. Mais on a constaté qu’avec les universités et centres de recherche le partenariat se manifeste principalement dans les domaines de la recherche, de la formation, de l’enseignement et de la valorisation. Pourquoi pas un appui financier comme avec le Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Fann, pour leur donner plus d’autonomie dans un environnement ou les ressources sont de plus en rares?
- De Noni – Il y a peut-être une ambigüité à propos du CHU de Fann qui est un partenaire clé sans être exclusif ou dominant par rapport à un autre. Ce qu’il faut rappeler c’est que l’IRD n’est pas un bailleur mais un opérateur de recherche. Il travaille avec d’autres opérateurs de recherche au Sénégal – et le CRES en est un, vous le rappeliez auparavant – sur des missions de recherche, de formation, d’innovation et de valorisation. Evidemment, ensemble, après on va vers la recherche de financement car la recherche en a besoin, mais ce n’est pas notre rôle premier. Notre rôle premier est la recherche, la formation et l’innovation avec un accent particulier sur le transfert de compétences.
CRES – A travers le pôle « Lutte contre la pauvreté » L’IRD observe les politiques publiques de lutte contre la pauvreté, fait des analyses sur les mécanismes de transmission de la pauvreté et sa mesure, sur la famille et les relations intergénérationnelles, de même que sur les politiques d’éducation. Des domaines de prédilection du CRES. Mais nous savons que les recherches réalisées au Sénégal sont conduites par les chercheurs de l’UMR DIAL et pour partie par l’UMR CEPED. N’y avait pas là de la place pour une étroite collaboration avec des chercheurs locaux comme ceux du CRES ?
- De Noni – Certainement mais je pense que l’histoire de DIAL est très proche de celle du CRES, si vous permettez la comparaison. DIAL au départ, fut un consortium comme le CRES. Il a été créé car des enseignants-chercheurs qui se sont trouvés des affinités, travaillant sur des thématiques communes, partageant les mêmes valeurs, ce qui a dû favoriser le rapprochement avec vous je suppose. Dans la vie, il n’y a pas de hasard, je pense que c’est parce que les chercheurs de DIAL comme ceux du CRES ont une formation très proche, ont des valeurs scientifiques de même nature qu’ils se retrouvent aujourd‘hui. Vous évoquez aussi le CEPED, en effet le CRES pourrait avoir des relations scientifiques avec d’autres unités de l’IRD.
CRES – Le CRES a pour ambition d’influencer les prises de décisions politiques dans ces domaines. Sont-ce des domaines où l’influence sur les politiques est facile?
- De Noni – Notre institut est une institution de recherche pour le développement qui doit soutenir les politiques locales. A mon avis, une recherche pour le développement au Sud est une recherche impliquée dans les actions incluses dans la politique du pays, donc qui doit prendre en compte la temporalité liée au mandat politique du gouvernement en place. Sinon il y a ambigüité et on serait à côté de nos missions. Ce qui veut dire que l’on ne pourrait pas imaginer un institut de recherche résidant dans un pays et représentant le gouvernement français en opposition avec la politique menée par le gouvernement en place.
CRES – Comment l’IRD mesure–t-il ou apprécie–t-il cette notion d’influence des politiques ? Elle a souvent une connotation péjorative…
- De Noni –On est attentif à la commande de la part des ministères qui travaillent au développement de leur pays. Les ministères dans leur activité de développement du pays ont un certain nombre de questions pour lesquelles la recherche peut se mobiliser. Une fois que nous répondons à leurs demandes, ensemble, nous leurs fournissons des éléments scientifiques de qualité et indépendants pour avoir un impact réel sur l’évolution positive du pays, cela peut constituer en effet un impact sur les politiques locales.
CRES – L’IRD en fait-il aussi un objectif ? Si oui, Quelle place occupe ce souci d’influence dans les activités quotidiennes menées par l’IRD ?
- De Noni –L’important pour l’IRD est d’avoir une influence positive, saine et fonctionnelle en terme de partenariat pour le développement, qu’on peut arriver à mesurer. Par exemple, on peut essayer d’évaluer l’impact de la recherche sur la mise en place de mesures gouvernementales qui aident au développement du pays, mieux encore par la formation aussi, par exemple par le nombre de doctorants formés dans et par la recherche, et qui demain, occuperont des places de cadres.
CRES – Mais en termes de mesures gouvernementales, si l’IRD n’est pas cité, comment arriver à prouver à l’évidence sa contribution, son accompagnement voire son influence ?
- De Noni – Non, je pense qu’à ce niveau les retours existent. Pour nous le meilleur des retours, c’est que la recherche soit appliquée sur le terrain et apporte une plus-value aux populations. Après, peu importe si le logo de l’IRD s’efface ou est moins visible. Ce n’est pas gênant parce qu’avant tout, l’important est le développement des pays tant à l’échelle locale que régionale.
CRES – Pouvez-nous nous citer des exemples où l’IRD a concrètement impacté sur les décisions des autorités?
- De Noni – Oui, les domaines forcément existent et sont nombreux depuis des années. Je suis certain que nous pourrions trouver des exemples dans des domaines comme l’agriculture, la santé, la pêche par exemple. Actuellement, l’équipe qui travaille au CHU de Fann, au CRCF sur le SIDA à laquelle vous faisiez allusion, ne travaille plus forcément sur des aspects cliniques de médecine classique, mais plutôt sur une médecine anthropologique et sociale. Car si la trithérapie existe de nos jours et n’est pas accessible gratuitement au plus grand nombre alors à quoi bon ! La recherche contribue à ce combat et incite les Gouvernements à suivre cette voie. Je trouve que lorsque la recherche en arrive là, c’est remarquable. A la fois elle a contribué à mettre en place une thérapie qui est satisfaisante mais également accessible gratuitement à tous.
CRES – Que peut – on attendre de l’IRD, si l’on sait que vous collaborez et appuyez beaucoup d’instituions en Afrique et ailleurs. C’est le cas avec le CIRAD, le Département des Pêches gambien, bissau-guinéen (l’IBAP, le CIPA), mauritanien (IMROP), cap verdien (INDP), le Groupe de recherche et de Réalisations pour le Développement rural (GRDR), etc. Ne pensez-vous pas que vous devrez renforcer votre rôle de mise en réseau pour favoriser la constitution de consortiums pour lever des fonds à partir de recherches communes ?
- De Noni –Ecoutez, les pays africains ont les capacités, les compétences de définir ce qu’ils veulent, ce qu’ils souhaitent faire et dans quel sens ils le feront. Ce n’est pas l’IRD qui doit avoir cette prétention là. Il existe une volonté africaine de construire l’espace africain de la recherche et de l’enseignement supérieur. Et quand on est « Africain », on n’est pas francophone, lusophone ou anglophone, on a tourné cette page coloniale, on est Africain ! L’IRD se situe dans cette optique et vous soutient. Construire avec vous l’espace africain de la recherche et de l’enseignement supérieur est un challenge majeur, fondé sur le réseautage et la mutualisation entre les institutions. Dans ce contexte, nous pouvons participer avec vous au montage de consortiums.
CRES -Dans ce cadre là peut-on dire que l’avenir de la recherche est dans la mise en place de consortiums, à l’instar du projet No Poor ?
- De Noni – Je le pense, tout à fait. Parce que la recherche aujourd’hui est globalisée. Pour bien comprendre ce qui se passe chez soi, il faut regarder ce qui passe autour de soi. Autrement dit, l’environnement extérieur pèse sur la dynamique interne. Donc cette globalisation il faut la prendre en compte. Et puis après, il y a une réalité qui s’impose à nous, il y a des économies d’échelle à faire en termes de moyens humains et financiers. Il faut sans cesse être plus performant et pour y parvenir favoriser la mutualisation des moyens et compétences. Donc faire plus et mieux ensemble, favoriser le montage de plateformes régionales, fonctionner en réseau est une nécessité absolue, pour pouvoir atteindre ces objectifs d’une politique de développement opérationnelle en Afrique.
CRES – Le CRES entend élaborer et conduire au moins 14 programmes de recherche par département d’ici 2017 autour de questions telles que la Santé, l’Education, la Population et les dynamiques démographiques, l’Eau et l’assainissement, la protection sociale, les dynamiques des villes, la politique de gestion des cités, la croissance démographique et ses effets en termes d’infrastructures et de gestion de l’environnement, l’analyse des politiques de croissance et d’emploi à travers le Partenariat pour les politiques économiques (PEP), un réseau mondial de recherche dont le siège en Afrique est hébergé par le CRES, etc. Pensez-vous, avec le regard du chercheur, de surcroît Directeur de l’IRD, que ce sont des thématiques d’intérêt pour les prochaines années et surtout qui s’inscrivent dans une dynamique qui permettrait de fédérer d’autres centres dans le cadre de consortiums de recherche ?
- De Noni – Sur les thématiques, au regard du développement il y a deux points à considérer. D’une part, un point qui reste traditionnel, qui dit que le développement est pluriel. C’est pour ça qu’un institut comme le notre est pluridisciplinaire. C’est pour ça d’ailleurs que nous étions faits pour nous rencontrer le CRES et l’IRD. La liste de thématiques que vous avez donnée aborde plusieurs aspects parce que le développement est pluriel. Partant de ce point de vue là, il y a deux aspects :
- Cinq thématiques qui étaient valables hier et le sont demeurées. Elles sont classiques : c’est l’Agriculture et tout ce qui tourne autour, la pêche (pour le Sénégal et les autres pays côtiers), la Santé, l’Education. Et il faut continuer dans ces voies classiques et traditionnelles qui demandent toujours sans cesse, plus d’effort, notamment au niveau de l’Education.
- Apres l’autre axe concerne l’impact des changements climatiques. L’impact des changements climatiques sur les ressources naturelles et humaines, pour l’Afrique c’est devenu fondamental. Ce doit être aujourd’hui une ligne qui oriente nombre de nos efforts. Et puis après, il y a d’autres thématiques comme les énergies renouvelables. Ce pays est plein de richesses à ce niveau-là, de richesses humaines mais aussi de richesses naturelles renouvelables et ça, il faut y travailler. Et puis après je pense qu’il y a un autre axe sensible sur la thématique des transports, notamment maritime, routier et aérien. Il y a un effort important de recherche à faire dans ce domaine-là, incontournable pour réussir le développement du pays.
CRES – Donc les centres de recherche doivent aujourd’hui plus penser à intégrer des consortiums s’ils veulent se développer ?
- De Noni –Oui c’est totalement mon avis. Par exemple via les consortia, chaque pays d’Afrique peut amener un apport spécifique par rapport à ses compétences. Imaginez qu’on fasse un consortium sur l’amélioration des conditions de vie. Dans cette plateforme-là, le Sénégal pourrait dire, nous nous chargeons du volet médecine par exemple, un autre pourrait dire je prends la nutrition, un autre l’amélioration des cultures, etc. En tout cas fonctionner sous forme de plateforme régionale, indubitablement, cela me semble être nécessaire et à prioriser pour l’avenir.
CRES – Votre collaboration avec le CRES s’est renforcée avec le projet No Poor. A mi-parcours pouvez-vous revenir sur les raisons qui ont motivé le choix de l’intégration du CRES dans ce consortium de dimension mondiale ?
- De Noni –Parmi les partenaires traditionnels de l’IRD, le CRES s’imposait naturellement du fait de son origine universitaire et de sa structuration en équipe. Donc je pense que le CRES est le partenaire idéal pour travailler avec nous dans No Poor. En effet, le CRES, avec son pool de chercheurs et ses cinq départements, est en avance sur beaucoup d’autres structures au Sénégal.
CRES – Y a-t-il d’autres domaines de collaboration entre L’IRD et le CRES qui pourraient être explorés?
- De Noni – Je pense que oui, surtout si on part de la liste que vous avez citée tout à l’heure, une bonne dizaine d’items qui sont des chantiers pour vous, importants pour répondre aux attentes de développement du Sénégal. Sur chacun de ces items, on peut intervenir. J’ai bien vu qu’il y a des items en lien avec l’Environnement, avec la Santé des populations, donc sans aucun doute, oui il y a des opportunités de collaboration.
CRES – Le PEP offre différents volets de formations de pointe aux institutions de recherche et experts des administrations, sur des techniques avancées de compréhension et d’analyse économique du développement. Des formations organisées en Afrique (Dakar, Yaoundé) et animés par les chercheurs du CRES et des collègues venant d’Europe et d’Amérique. Pourrait-on envisager une collaboration sur ce volet ?
- De Noni – On doit pouvoir trouver forcément des compétences dans l’unité DIAL, mais également au Sénégal. Nous avons depuis peu la représentation ici d’une unité qui s’appelle UMMISCO (unité de modélisation mathématique et informatique des systèmes complexes). C’est une unité internationale mixte de modélisation internationale constituée d’un groupe de mathématiciens de haut niveau, des mathématiciens appliqués, appliqués à différents champs de l’économie, à la biotique … Il serait donc très intéressant que les chercheurs de l’Unité « UMMISCO », en lien avec le Centre d’excellence en mathématiques appliquées « AIMS Sénégal » installé à Mbour se rencontrent.
CRES – Au-delà de la collaboration dans le domaine de la recherche, il est connu que l’IRD, ancien ORSTOM, capitalise une solide expérience dans l’administration de la recherche. Quelle collaboration et appui le CRES peut-il attendre de l’IRD pour son développement institutionnel, en termes par exemple de coordination des départements et d’administration de l’institution globalement considérée ?
- De Noni –Ce champ d’activité, qui n’est pas de la recherche, mais plutôt de la gestion de la recherche, serait aussi un champ à prospecter.
CRES – Dernière question, si vous deviez faire des recommandations au CRES pour son développement institutionnel et scientifique, quelles seraient-elles ?
- De Noni – Une seule recommandation : que le CRES maintienne voir augmente sa collaboration avec l’IRD qui sera très heureux de continuer à travailler et à partager avec ce centre de recherche