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Covid-19 et intégration africaine : Des difficultés à réglementer dans l’urgence


L’important mouvement de coopération et d’intégration économique qui caractérise le monde contemporain et qui se fonde sur le regroupement des Etats selon une base sous régionale, régionale voire même continentale, est en train de connaitre des fissures importantes du fait du COVID-19.

L’ ambition d’effacer les frontières et de consacrer la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes a subi un véritable coup d’arrêt. En particulier, les hommes ne peuvent plus bouger dans leur propre ville a fortiori d’un pays à un autre ou d’un continent à un autre.

Se recroqueviller sur soi, penser d’abord à soi devient l’attitude la mieux partagée dans le concert des nations. Ce n’est peut-être pas le sauve qui peut mais l’égoïsme a repris du poil de la bête face aux sentiments de partage de l’espace commun que constitue la zone d’intégration.

En Afrique, des réponses juridiques aux exigences de l’intégration avait été donnée depuis bien longtemps. Des entités ont été créées et on s’est organisé pour avoir le maximum de règles juridiques communes. On espérait qu’avec ces règles communes, l’intégration irait plus vite et serait plus effective. En effet, c’est sur le droit que nous comptons pour structurer et impulser les nouveaux rapports sociaux susceptibles d’assurer l’intégration économique d’où l’apparition de cette nouvelle discipline enseignée dans les Facultés de droit : le droit économique. Et de ce point de vue, le droit est, d’abord et avant tout, une kyrielle de normes de comportement et de conduite qui peut aider à l’application de la décision économique ou créer les conditions d’un nouveau comportement économique.

Mais le COVID19 nous montre les limites du système d’intégration reposant sur le droit et nous incite, nous les juristes, à beaucoup plus d’humilité.Oui, quelle que soit notre maitrise de la science juridique, ce virus nous donne encore à voir que le droit impose moins rapidement sa domination que ne le font les faits économiques et sociaux. C’est un peu cela l’impertinence du virus face à l’homme.

Pour les besoins de l’intégration, les Etats procèdent à des abandons de souveraineté et délèguent à une autorité supranationale les prérogatives notamment de création de la norme. Les textes sont adoptés après un processus souvent très long, processus duquel les parlements nationaux sont exclus. Au résultat, les lieux de la décision législative sont transférés hors des Etats avec l’objectif d’harmoniser le droit interne de tous les Etats parties par un texte uniforme.

Technique très avantageuse : élimination entre les Etats des distorsions de concurrence résultant de la disparité des systèmes juridiques ; élimination des conflits de lois dans les relations des pays membres ; meilleure visibilité et lisibilité du droit pour l’investisseur.

Mais technique insuffisante. En effet, en période de crise, lorsqu’il faudra agir dans l’urgence, ce procédé étale d’extraordinaires limites. Dès lors qu’il est impossible pour les hommes de se rencontrer, le droit de l’intégration étale ses carences car il a été conçu pour régir des rapports normaux dans un monde normal avec la liberté de tout un chacun d’aller et de venir. Cette liberté étant très fortement réduite par le Covid19, tout le droit s’en trouve négativement impacté.

Moindre mal pour les Etats dont les chartes fondamentales prévoient souvent la gestion juridique des périodes troubles par le biais des lois d’habilitation permettant à l’Exécutif d’avoir les compétences du Parlement pour un temps déterminé. Mais difficultés énormes pour les structures d’intégration car rien n’est prévue en ce sens.

La libre circulation des hommes est impossible, les opérations juridiques exigeant le présentiel des acteurs devient impossible, aucune procédure d’urgence de révision ou de modification des textes de droit économique n’est prévu.

Bref, c’est le désert. Eh bien, ce désert, quelle que soit son aridité et son hostilité, on doit le traverser pour retrouver une vie plus accueillante. En ce sens, ma suggestion est d’autoriser de manière exceptionnelle et temporaire, les législateurs des pays en cause à prendre des mesures pour permettre le fonctionnement de l’économie. Un texte exceptionnel du Président en exercice de l’organisation d’intégration en direction des « jurislateurs » des différents Etats devrait faire l’affaire ! Mais faisons vite pour nous épargner de douloureux contentieux post Covid19.

Professeur Abdoulaye SAKHO,

Agrégé des facultés de droit, Directeur du Pôle Droit du CRES.

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